Paroles de notre Présidente : On ne peut pas parler d’alimentation sans parler de racisme

juin 12, 2020
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Il devrait être très clair que nous ne pouvons pas parler d’alimentation, de sécurité alimentaire ou de justice alimentaire sans parler du rôle que jouent le racisme et l’injustice.

Par Leticia Ama Deawuo, Présidente du conseil d’administration de Sème l’avenir et directrice de la ferme communautaire de Black Creek.

Les récents événements mondiaux ont déchiré les fondements intrinsèquement racistes, inégaux et capitalistes de notre monde. Ce que nous savons tous être une manière violente d’organiser le monde est maintenant au premier plan et nous voyons les Noirs, les personnes racialisées et les Blancs du monde entier porter leur frustration, leur chagrin de longue date et leur rage rebelle dans les rues.

Dans ce billet, je veux réfléchir à voix haute au rôle que joue la justice alimentaire dans la lutte plus large pour la justice raciale.

J’écris ces quelques lignes alors que les agriculteurs migrants de l’Ontario ont été touchés de manière disproportionnée par la COVID-19. Avec tout ce que nous savons sur la façon dont les travailleurs migrants sont logés et les conditions dans lesquelles ils sont amenés à travailler, les Canadiens et les représentants du gouvernement fédéral ne devraient pas être surpris. Et ils auraient dû être mieux préparés à loger convenablement les travailleurs migrants et à les garder en sécurité. Comme nous le savons, les travailleurs saisonniers migrants qui viennent au Canada – sur lesquels repose tout notre système alimentaire – sont majoritairement noirs et racialisés.

« Au Canada, les Noirs sont 3,5 fois plus susceptibles que leurs homologues blancs de connaître l’insécurité alimentaire. »

Au Canada, les Noirs sont 3,5 fois plus susceptibles que leurs homologues blancs de connaître l’insécurité alimentaire. L’accès à la terre, aux fonds et au crédit est plus difficile pour les Noirs. Comme nous l’avons vu avec la pandémie, une grande partie de la nourriture au Canada est cultivée par des personnes noires et racialisées. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’élaborer une politique alimentaire, nous sommes rarement à la table des décisions. Et lorsque les personnes noires et racialisées au Canada font des plaidoyers et de l’agitation pour entrer dans les forums d’élaboration des politiques et travailler à résoudre ces problèmes, nous nous heurtons à des obstacles, car les associations à but non lucratif dirigées par des personnes noires et racialisées reçoivent moins de fonds que celles dirigées par des blancs.

Il devrait maintenant être clair que nous ne pouvons pas parler d’alimentation, de sécurité alimentaire ou de justice alimentaire sans parler du rôle que le racisme et l’injustice jouent dans le paysage alimentaire. Elles ne sont jamais séparées, mais plutôt entremêlées, surtout parce que la sécurité alimentaire du Canada est garantie par une main-d’œuvre non blanche, bon marché ou mal payée, même si ces travailleurs ne sont pas reconnus par l’État et la société.

Avec tant de rebellions, avec la vie des Noirs et des personnes racialisées au centre de l’attention du monde, ce moment est révélateur de questions profondes qui existent depuis bien trop longtemps. Les organisations de souveraineté alimentaire dirigées par des Noirs, des personnes racialisées et des autochtones ont travaillé pendant des décennies pour changer le système, et nous continuerons à le faire.

J’essaie d’y parvenir notamment grâce à mon rôle de directrice de la ferme communautaire de Black Creek (BCCF). La BCCF est une ferme de huit acres située dans la communauté Jane and Finch de Toronto. Nous travaillons à améliorer l’accès à une alimentation saine dans la communauté Jane and Finch, qui est principalement peuplée de personnes noires et racialisées. À la ferme, nous offrons une formation et un apprentissage pratique, et nous assurons un leadership en matière de justice alimentaire afin d’inspirer la prochaine génération de producteurs et de consommateurs.

La BCCF est fière d’être basée et dirigée par la communauté. Cela signifie qu’en cas de crise, nous sommes en mesure de réagir rapidement. La pandémie de la COVID-19 a immédiatement provoqué un pic d’insécurité alimentaire, et nous avons réagi en distribuant des boîtes de nourriture fraîche aux familles touchées, en partenariat avec FoodShare et d’autres organisations communautaires. À ce jour, nous avons distribué 3 996 boîtes (29 000 kg de nourriture) aux familles.

Si vous êtes troublés par ce que vous apprenez sur les obstacles systémiques auxquels sont confrontés les Noirs, les personnes racialisées et les autochtones au Canada, je vous invite à rester engagés après cette crise.
Aucune personne ou organisation ne peut à elle seule provoquer un changement systémique massif, mais nous pouvons remettre en question ces systèmes ensemble. Et comme l’état du monde nous le démontre, ce changement ne doit pas se faire tôt ou tard, mais bien maintenant.


Leticia Ama Deawuo est directrice de la ferme communautaire de Black Creek, membre du Conseil de la politique alimentaire de Toronto et présidente du conseil d’administration de Sème l’avenir.